Télécommunications : protéger les équipements contre les changements climatiques… et les écureuils


La pièce devant moi ressemble à un grand réfrigérateur de restaurant. À l’intérieur, des centaines de mètres de fibres optiques sont rassemblés. Au cours du dernier mois, ces câbles y ont vécu un véritable enfer, enchaînant des cycles de température de –40 à +70 °C. Une journée dans cette chambre de vieillissement représente l’équivalent d’un an passé à l’extérieur. Et pour réussir le test, ces câbles doivent fonctionner après 25 jours.

« Nous avons testé les câbles de sept nouveaux fournisseurs, et seulement deux ont résisté aux variations de température », raconte Louis-Philippe Potvin, analyste réseau chez Bell, et l’un des responsables du centre de recherche et de développement de l’entreprise à Varennes que je suis en train de visiter en exclusivité pour L’actualité.

Des câbles de fibres optiques ont subi dans cette chambre l’équivalent de 25 ans de cycles gel-dégel. (Photo : Maxime Johnson)

Si vous avez déjà utilisé un service de Bell, les équipements nécessaires à son bon fonctionnement sont tout d’abord passés par ici. Et l’importance de ce centre mis en place en 1986 est appelée à croître au cours des prochaines années, en raison des changements climatiques qui perturbent de plus en plus les réseaux de télécommunications au pays. Bell estime qu’en 2022 seulement, les situations d’urgence liées aux conditions météorologiques extrêmes, comme l’ouragan Fiona, ont coûté 27 millions de dollars en réparations. En incluant les heures supplémentaires et les frais de déplacement de ses techniciens pour faire face aux situations d’urgence, ce sont 44 millions de dollars en tout qui ont dû être investis. La facture totale n’a pas encore été comptabilisée pour 2023, mais avec les feux de forêt qui ont sévi au Canada, tout indique que celle-ci sera aussi salée.

Entre entrepôt, usine et boutique d’antiquités

Il n’y a pas que la résistance des équipements qui est mise à l’essai dans ce petit bâtiment situé sur le terrain de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (l’IREQ, le grand cube noir mystérieux que l’on aperçoit en bordure de l’autoroute 30 vers Sorel-Tracy). Ici, les employés de Bell élaborent aussi de nouveaux équipements qui seront installés sur les poteaux téléphoniques et s’assurent que les appareils achetés interagissent bien avec les différents composants du réseau de l’entreprise.

En visitant le centre de recherche, on a d’ailleurs l’impression d’être dans un lieu se situant quelque part entre une usine, un entrepôt et une boutique d’antiquités. « On essaie de garder des exemplaires de tous les équipements qu’on trouve sur le réseau », explique Louis-Philippe Potvin, en montrant un vieux câble de cuivre dont les fils sont protégés par des gaines de papier. Après tout, si un nouvel appareil est conçu avec un fournisseur pour détecter un bris dans une fibre optique, cet appareil doit être compatible non seulement avec les câbles les plus récents, mais aussi avec ceux installés dans les années 1980 qui sont encore en fonction.

Des équipements de toutes les époques sont conservés au centre de recherche de Bell à Varennes. (Photo : Bell)

À l’extérieur, derrière le bâtiment, il y a également toutes sortes de poteaux — pour tester de nouvelles pinces en hauteur par grands vents, par exemple — et même deux puits d’accès, ces espaces recouverts d’une trappe ronde métallique que l’on trouve généralement sous les routes dans les villes, et où les techniciens de l’entreprise peuvent accéder au réseau de télécommunications souterrain.

Le cas des écureuils

Un exemple de solution actuellement mise au point par ce centre : de nouveaux équipements résistant aux écureuils. « On a vraiment de gros problèmes avec les écureuils », affirme Louis-Philippe Potvin. Ces rongeurs grugent certains boîtiers qui protègent la fibre optique, mais aussi les câbles de l’entreprise. Si votre Internet est tombé en panne récemment, c’est peut-être leur faute.

« Avec les changements climatiques, c’est un problème de plus en plus fréquent, et de plus en plus répandu », dit l’analyste. Jean-Lou Tremblay, gestionnaire principal responsable de la réparation des câbles chez Bell, renchérit : « Même au Saguenay, où il y avait avant surtout des tamias, les écureuils s’attaquent maintenant à nos équipements. Ils ont monté le parc de la Jacques-Cartier ! » 

L’affirmation n’étonne pas Jean Ferron, professeur de biologie à la retraite de l’Université du Québec à Rimouski. « Avec les saisons plus chaudes, les écureuils gris et les écureuils roux ont plus fréquemment une deuxième portée, ce qui augmente l’abondance des populations. Et avec les changements climatiques, il ne serait pas surprenant que la distribution de l’écureuil gris progresse graduellement un peu plus au nord », avance-t-il. L’étalement urbain favoriserait également l’écureuil gris, « qui est le principal responsable des dommages aux réseaux de télécommunications », ajoute le professeur.

Les traces laissées par des écureuils sur un boîtier protecteur de Bell. (Photo : Maxime Johnson)

Une sorte de bouclier métallique est en train d’être conçu avec un fournisseur québécois pour empêcher ces rongeurs d’accéder à certains équipements sur les poteaux. Un nouveau type de câble avec une gaine répulsive au menthol a aussi été installé dans des quartiers de Montréal pour qu’on puisse mesurer son efficacité. Jusqu’à présent, les écureuils ne semblent pas en être friands. « Nous avions essayé un autre câble avec du poivre de Cayenne et de l’urine synthétique de tigre, qui avait bien marché durant six mois, mais l’effet s’était estompé avec le temps », raconte Louis-Philippe Potvin. Le combat entre Bell et les écureuils n’est donc pas forcément réglé.

Prochaine étape : revoir les standards

Les conditions météorologiques extrêmes des dernières années ont également forcé les équipes de Bell à revoir leurs pratiques, notamment « pour améliorer la collaboration entre les divisions », dit Jean-Lou Tremblay. « Depuis le derecho de 2022 [NDLR : un phénomène météorologique rare, qui produit de très fortes rafales, et qui a sévi entre Québec et Windsor en mai 2022], nous avons vraiment repensé nos façons de faire », explique-t-il. Par exemple, jusqu’à tout récemment, les techniciens de son équipe ne savaient pas forcément quels câbles réparer pour rebrancher en priorité une tour de mobilité. 

Certains équipements, comme celui-ci, sont mis au point en partie au centre de recherche de Bell à Varennes, souvent en collaboration avec d’autres entreprises. (Photo : Maxime Johnson)

Bell a cependant encore du boulot à faire pour adapter les protocoles et les équipements qui passent par le centre de recherche de Varennes aux changements climatiques. La façon de tester le vieillissement des câbles est toujours la même qu’il y a 10 ans, et les poteaux installés en forêt répondent aux mêmes exigences qu’avant les feux de cet été.

« C’est vraiment une question de temps avant que certains standards soient adaptés, mais ça ne sera pas pour tout de suite », souligne Christian Cousineau, analyste réseau chez Bell. « Après la crise du verglas, il avait fallu environ cinq ans à l’Association canadienne de normalisation pour revoir les normes, notamment par rapport à la taille et à la solidité des poteaux », se rappelle-t-il.

Un appareil à l’arrière du centre de recherche permet de mesurer la solidité des poteaux. (Photo : Maxime Johnson)

Les jours des poteaux de bois dans les zones particulièrement sensibles aux feux de forêt, par exemple, pourraient être comptés. « Il faudra peut-être aussi revoir comment l’eau est évacuée des puits d’accès en fonction des modèles climatiques, s’ils prévoient des inondations plus fréquentes », illustre de son côté Louis-Philippe Potvin.

Les changements climatiques sont prédits depuis longtemps, mais on commence à peine à avoir une idée de toutes les conséquences qu’ils auront. Et que ce soit pour Bell ou pour les autres entreprises de télécommunications, le travail qu’il reste à accomplir pour s’y adapter est beaucoup plus grand que celui réalisé jusqu’ici. « Chose certaine, s’il faut élaborer ou tester de nouveaux éléments de réseau ou de nouvelles structures en fonction des changements climatiques, c’est ici qu’on va le faire », ajoute-t-il.




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