
Jesse Anctil possède environ 2 500 films sur disque Blu-ray et DVD. « J’en achète plusieurs par semaine depuis une dizaine d’années », affirme ce cinéphile de 33 ans, directeur du marketing d’un cinéma de Sherbrooke. Il n’y a même jamais eu de meilleur moment pour les collectionner, selon lui.
Beaucoup de films lancés sur disque aujourd’hui (tant des nouveautés que des titres de répertoire) sont en effet offerts avec un plus grand souci du détail qu’auparavant, tant par rapport à la qualité de l’image et du son qu’en ce qui concerne l’esthétique du boîtier. « Ce sont des objets faits par des cinéphiles, pour les cinéphiles », résume Jesse Anctil. Les groupes de collectionneurs en ligne ont d’ailleurs connu une croissance fulgurante depuis la pandémie, et bon nombre de films se retrouvent rapidement en rupture de stock après leur sortie.
« Même si le marché des films sur support physique continue à s’éroder à mesure que le public adopte les plateformes de visionnement en ligne, il y a encore un appétit pour les disques de grande qualité », observe John Buffone, conseiller auprès de l’industrie cinématographique pour l’entreprise américaine d’analyse Circana. Ainsi, les ventes de films sur support physique (DVD et Blu-ray) ont chuté d’environ 25 % en 2023 aux États-Unis. Mais isoler les ventes de Blu-ray 4K Ultra HD (un format de bien meilleure qualité que les DVD) permet de voir que ces dernières ont augmenté de 6 % aux États-Unis et de 4 % au Canada de mars 2023 à mars 2024, selon les données compilées par Circana.
Plusieurs raisons expliquent cet intérêt renouvelé. Les plateformes de diffusion ne cessent de hausser leurs prix (le forfait Premium de Netflix a presque doublé en moins de 10 ans), et de nombreux titres disparaissent de leur catalogue sans préavis. « Si vous achetez un film, aucun méchant service en ligne ne pourra vous le voler », a souligné le réalisateur Christopher Nolan lors du lancement de son long métrage Oppenheimer en format physique.
Un autre grand avantage de se procurer un film sur disque (attendez-vous à payer environ 30 dollars pour une nouveauté en 4K) est la qualité audio et vidéo supérieure. À l’heure où les téléviseurs pour la maison sont de plus en plus gros et performants, la différence de qualité entre une diffusion en ligne et un Blu-ray 4K Ultra HD est de plus en plus évidente. « Sur les plateformes, l’image et le son sont vraiment compressés », note Jesse Anctil.
Tout comme les disques vinyle, qui connaissent une renaissance depuis plus d’une décennie et dont les ventes en 2023 ont atteint un sommet depuis 1990, l’objet lui-même est aussi recherché par les acheteurs. « Il y a tout un rituel qui entoure le film en format physique », explique le sociologue français Quentin Gilliotte, auteur de l’essai L’expérience culturelle en régime numérique (Presses des Mines, 2022). « Les acheteurs éprouvent un plaisir à regarder le film, mais également à acheter le bien physique et à l’afficher dans leur espace domestique », soutient-il.
Difficile toutefois de prédire s’il s’agira d’un succès prolongé ou d’une mode passagère. Comme le fait remarquer avec un brin d’ironie André Gaudreault, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, dans l’essai La fin du cinéma ? La résilience d’un média à l’ère du numérique (Armand Colin, 2023), « de pareils retours en arrière n’empêchent pas nécessairement le rouleau compresseur du “progrès” ».