
L’industrie aérienne s’est donné un objectif ambitieux de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre : atteindre la carboneutralité en 2050. Si la cible peut paraître lointaine, il faut se rappeler que la création d’un avion demande en moyenne de 10 à 15 ans, et que les modèles actuels ont une durée de vie d’environ 30 ans.
Cet objectif risque d’être difficile à respecter. « Étant donné la vitesse à laquelle on progresse, nous n’atteindrons pas la carboneutralité en 2050. Mais nous pouvons travailler fort pour nous en rapprocher », a estimé Kevin Michaels, directeur à la société américaine de consultants en aérospatiale et en aviation AeroDynamic Advisory, dans une conférence au Forum innovation aérospatiale international, qui s’est tenu cette semaine à Montréal.
Si le degré d’optimisme par rapport à l’atteinte des objectifs variait selon les conférenciers présents, tous semblaient toutefois d’accord sur un point : aucune technologie ne permettra à elle seule d’y arriver. « Il en faudra plusieurs », explique Kevin Michaels.
Voici les principales technologies sur lesquelles mise l’industrie aérienne pour atteindre la carboneutralité.
Carburants durables
Ce qui devrait contribuer le plus à l’atteinte espérée de la carboneutralité de l’industrie aérienne, selon l’analyse d’AeroDynamic Advisory, est la montée en importance des carburants d’aviation durables (les SAF, pour sustainable aviation fuels, en anglais).
Ces carburants peuvent être produits de différentes façons, par exemple grâce au CO2 capté à la sortie des cheminées industrielles, qui est recombiné chimiquement avec de l’énergie (verte) pour former à nouveau du carburant. Le SAF brûlé produit lui aussi des gaz à effet de serre, mais puisque le CO2 utilisé dans sa fabrication se serait de toute façon trouvé dans l’atmosphère, son bilan carbone est presque neutre.
Plusieurs pays ont voté des cibles pour forcer les lignes aériennes à utiliser ces carburants. En Europe, par exemple, 2 % du carburant devra être du SAF en 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035 et 70 % en 2050. En Amérique du Nord, seule la Colombie-Britannique a légiféré en ce sens pour l’instant : les fournisseurs de carburants devront incorporer 1 % de SAF à leur kérosène en 2028, 2 % en 2029 et 3 % en 2030.
Notons que plusieurs défis risquent de nuire à l’adoption du SAF. Les analyses consultées montrent que ce carburant sera toujours plus cher que le kérosène en 2050 et il pourrait être difficile d’en produire suffisamment.
Les iniquités entre les différentes régions du monde représentent aussi un autre problème. « C’est illusoire de penser que tous les pays auront accès à de l’électricité verte et au matériel nécessaire pour créer ces carburants », souligne Dale Smith, directeur régional de la stratégie environnementale chez Boeing. Pour ce dernier, la solution passe peut-être par la mise en place d’un marché de crédits, pour qu’un avion à Montréal, par exemple, puisse utiliser plus de SAF pour compenser un vol provenant d’une région sans énergie verte.
Parmi les futurs développements à surveiller, notons aussi l’arrivée de SAF avec un bilan carbone encore meilleur que celui des SAF d’aujourd’hui. « L’industrie doit toutefois s’entendre sur la composition chimique de ces futurs carburants. Selon cette composition, peut-être que les moteurs des avions existants pourront être convertis pour les utiliser ou peut-être que ces carburants seront limités aux futures générations de moteurs », résume Robert Peluso, directeur général, ingénierie des systèmes, chez Pratt & Whitney.
Avions à hydrogène
L’hydrogène est généralement considéré comme le Saint-Graal dans l’industrie aérienne. Celui-ci doit être créé avec de l’électricité propre pour être vert, mais selon la technologie déployée (il y en a deux types), son utilisation dans un avion ne génère à peu près que de l’énergie pour propulser le moteur et de l’eau.
Plusieurs projets d’avions à hydrogène sont en cours, dont certaines conversions de petits avions existants. L’entreprise anglo-américaine ZeroAvia, par exemple, prévoit commercialiser en 2027 une version fonctionnant à l’hydrogène de ses avions ATR 72 (un appareil d’environ 70 places doté de deux turbopropulseurs, en production depuis 1988). Un plus gros avion commercial, le ZEROe d’Airbus, est pour sa part toujours attendu pour 2035, selon le constructeur européen.
Les travaux avancent aussi par rapport à toute la logistique liée à l’hydrogène, soit les défis qui entourent son transport et son stockage. Au Forum innovation aérospatiale international, les aéroports de Montréal, Toronto et Vancouver ont d’ailleurs annoncé la réalisation d’une étude de faisabilité visant à en savoir plus sur ce dont ils auront besoin pour accueillir ces avions.
Selon AeroDynamic Advisory, en 2050, jusqu’à 47 % des vols sur la planète pourraient se faire avec ce carburant, sous réserve qu’il y en ait assez et qu’il y ait suffisamment d’avions en mesure de l’utiliser. L’hydrogène pourrait servir, en gros, dans les avions comptant jusqu’à 250 places et dotés d’une portée allant jusqu’à 3 700 km.
Même si le potentiel de l’hydrogène est important, plusieurs doutent cependant que la technologie soit assez avancée en 2050 et que le secteur ait le temps de s’adapter assez rapidement pour qu’il y ait un effet majeur sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie. Pour y arriver, il faudra évidemment aussi que l’hydrogène puisse être produit en quantité suffisante à partir d’énergies vertes (comme l’hydroélectricité), ce qui est loin d’être garanti.
Avions électriques
Plusieurs projets d’avions électriques sont en branle à l’heure actuelle, surtout par de petites entreprises. Les premiers qui arriveront sur le marché risquent toutefois d’être de petits avions à hélice (à trois places, par exemple) dont le moteur au kérosène aura été remplacé par un moteur électrique. « Avec les progrès dans le secteur des batteries, on devrait pouvoir avoir assez rapidement des appareils à neuf places », estime Erika Holtz, responsable de l’ingénierie et de la qualité chez Harbour Air, une petite compagnie aérienne canadienne qui espère mettre en service son premier hydravion électrique en 2026. Pour les plus gros appareils, il faudra cependant patienter : à l’heure actuelle, et pour les années à venir, les batteries sont trop lourdes pour propulser un gros avion sur des milliers de kilomètres, par exemple.
Notons que l’électrification des avions est l’un des éléments importants de la zone d’innovation Espace Aéro de la région montréalaise, dont le lancement a été annoncé mardi au salon de l’aviation, une sorte de « grappe industrielle sur les stéroïdes », pour reprendre l’expression du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon.
Même en 2050, l’aviation électrique sera toutefois marginale, croit Kevin Michaels. Dans les analyses effectuées par sa société de conseil, seuls 3 % des vols sur la planète à ce moment-là pourront être électrifiés, soit les vols régionaux à bord d’avions de moins de 100 passagers environ. Et ça, c’est en admettant que tous les petits avions deviennent électriques. Bref, l’effet de cette technologie sur l’atteinte de la carboneutralité sera faible.
Cela vaut tout de même la peine de continuer à faire de la recherche et développement dans ce secteur, selon Nathalie Duquesne, directrice chez le fabricant d’équipement Liebherr-Aerospace Toulouse. Car même dans les avions qui ne seront pas propulsés à l’électricité, une bonne partie des systèmes hydrauliques et pneumatiques, eux, seront convertis en systèmes électriques.
Avions de nouvelle génération
Différents gains pourront aussi être obtenus grâce aux prochaines générations d’avions, peu importe le carburant utilisé. Le turboréacteur UltraFan de Rolls-Royce, par exemple, que les constructeurs d’avions attendent pour 2030, devrait réduire la consommation de carburant de 10 % par rapport aux turboréacteurs les moins énergivores à l’heure actuelle.
Plusieurs constructeurs, comme Airbus et Bombardier, mettent aussi au point des avions au fuselage intégré. « Jusqu’ici, le fuselage des avions était un poids mort », explique Simon Durham, expert technique en ingénierie chez Bombardier. Avec ces nouveaux designs, le fuselage et les ailes ne font qu’un, un peu comme un écureuil volant, ce qui devrait diminuer la consommation de carburant d’environ 20 % par rapport aux avions actuels dans le cas de l’EcoJet, un appareil en développement chez Bombardier, dont la date de lancement n’a pas encore été annoncée. Avec les autres innovations de l’EcoJet, Bombardier prévoit des réductions d’émissions de CO2 de 50 % par rapport à ses avions actuels.
Réduire le nombre de vols pourrait bien sûr aussi être un moyen de diminuer les émissions de l’industrie. Selon l’Association du transport aérien international (IATA), c’est toutefois l’inverse qui risque de se produire, car elle prévoit que la demande doublera en 2040 par rapport aux niveaux de 2019.